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Sylvie Ribierre

L'intelligence émotionnelle

Dernière mise à jour : 21 sept. 2021




Dans la cour de récréation, Enzo fulmine. Rouge de rage, il serre ses poings et tape ses camarades. Il les insulte aussi, cherchant les mots les plus crus et les plus blessants. Aucune parole, ne peut le calmer. Les autres enfants l’observent un peu médusés. Mis à l'écart pendant quelques minutes, il se calme, prend conscience de ce qu'il vient de faire, la honte alors le submerge…


Cette colère, émotion puissante et spectaculaire ressentie et exprimée par Enzo, n'a au fond pas réglé son problème. Au contraire, elle est devenue gênante. Cependant, pouvait-il la réguler ? Cette question en appelle une autre, qu’est-ce qu’une émotion ?


Ce qu’on observe, c’est que les émotions n’ont pas bonne presse. Elles sont souvent réfrénées au motif qu’il ne faut pas montrer sa fragilité, qu’une bonne éducation nous en détourne ou au contraire qu’il n’y a rien à faire sinon les subir. Pourtant, il est possible pour celui qui les vit, de les accepter et d’en atténuer l’impact lorsqu’elles sont trop fortes.


Pour pouvoir cerner ce qu’est une émotion, il faut d’abord en comprendre le mécanisme. C’est un sujet qui intéresse depuis longtemps les chercheurs. L'un des premiers, Darwin, défend l’idée que les émotions sont innées et utiles car elles ont une valeur adaptative. Elles permettent à l'espèce humaine de s'adapter aux défis de son environnement et ainsi de survivre. Sans nier la théorie de Darwin, William James a davantage mis l'accent sur les changements corporels associés aux émotions, lesquels changements vont nous prédisposer à agir (Nugier, 2009). Enfin, les recherches plus récentes ont ajouté une autre facette au processus émotionnel, une dimension évaluative. L'évènement auquel est confronté l’individu aura la signification positive ou négative qu’il lui accordera (Lazarus, 1966). L’émotion serait donc beaucoup plus qu’un simple réflexe inné, déclenchant des sensations corporelles et poussant à agir. Elle entrainerait aussi une réflexion, une pensée sur l’impact de la situation en termes de bien-être (Sander, 2009). Enfin, les émotions joueraient aussi un rôle social, communicationnel (Rimé, 2020). Non seulement elles informent les autres de ce que nous ressentons mais aussi il a été montré que par la communication qu’elles induisent, elles auraient un rôle de cohésion sociale.


Ces différentes perspectives pourraient résumer l’émotion comme étant une expérience individuelle, interne, innée, avec une composante physiologique, comportementale et psychologique qui a un impact sur la vie sociale.


A partir de ces éléments d’information qui constituent en eux-mêmes une première étape vers la régulation, comment s’engager plus avant dans cette démarche ?


Reconnaitre l’émotion demande de faire une introspection et de porter son attention sur les modifications corporelles qui apparaissent. En effet, l'émotion peut être repérée à partir de ressentis physiques tels que, par exemple, une « boule au ventre », « la gorge nouée », « les mains glacées », etc... Une équipe de chercheurs finlandais a mis au point une carte corporelle indiquant pour chaque émotion principale comme par exemple la peur, la tristesse, la colère ou la joie, les zones du corps qui étaient activées ou au contraire ralenties (Nummenmaa, 2014). Plus étonnant, cette topographie serait la même pour tous, quelle que soit la culture d’origine de l’individu.


Ensuite, nommer l’émotion va amorcer une distanciation, comme si le phénomène émotionnel est un objet que l’on observe. Ce processus peut aussi nous révéler à nous même, nous faire prendre conscience de nos besoins profonds. En outre, parler de son émotion aux autres va atténuer la force de l’impact. Cette « récupération émotionnelle » serait due au fait d’être écouté, de se sentir soutenu, de restructurer les traces mnésiques de l’évènement et éventuellement de lui donner un sens (Rimé, 2020). A cet égard, il est important que celui qui écoute évite de disqualifier ou banaliser ce qui est exprimé (ce n’est rien, tu n’as pas de raison d’être comme cela…). Outre le fait qu’elle favorise une « récupération émotionnelle », la reconnaissance et l’acceptation des émotions des autres constitue un des signes de l’empathie.


Enfin, les techniques comportementales de retour au calme sont nombreuses. Pour les enfants, il pourra s’agir de petites astuces plus ou moins symboliques ou métaphoriques, comme par exemple, dessiner l’ émotion sur une feuille de papier qui sera ensuite chiffonnée et jetée le plus loin possible. Ce geste peut être reproduit à plusieurs reprises. Le recours à des techniques de relaxation, de yoga permettent d’atténuer considérablement les manifestations physiologiques trop fortes et de recouvrer un état de fonctionnement adapté. Une pratique régulière donnera une sensibilité plus importante aux tensions corporelles et ainsi permettra d’anticiper la tempête émotionnelle afin de mieux la gérer.


Compte tenu de la composante cognitive évaluative de l’émotion, des chercheurs ont montré qu’une réinterprétation de la situation pouvait aussi diminuer l’intensité émotionnelle ( Philippot, 2011). Cette démarche, qui rappelle la philosophie des stoïciens selon laquelle les évènements ne nous affectent que par la signification qu’on leur donne, peut paraitre difficile voire inenvisageable pour certains, dépassés par un fonctionnement en surrégime. C'est le fameux débat qui oppose la raison à l'émotion, deux processus cérébraux localisés traditionnellement dans des parties différentes du cerveau. Pourtant les progrès récents réalisés en imagerie neurofonctionnelle ont montré qu'il existe de nombreux liens neuronaux et interactions entre ces deux régions (Pichon & Vuilleumier, 2011). C'est à partir de ces liens que Daniel Siegel (2015) professeur de psychiatrie à UCLA, a proposé un modèle particulièrement imagé destiné aux enfants qu’il nomme « le cerveau dans la main » afin de leur permettre de comprendre ce qui se passe dans notre cerveau.


Toutefois, si ce changement de perspective s’avère trop compliqué à mettre en œuvre, le lâcher prise, avec l’utilisation d’exercices de pleine conscience, peut être utile. L’attention est redéployée sur des éléments précis, tels que les mouvements de sa respiration ou bien les bruits extérieurs. Les petits enfants ayant une attention extrêmement volatile, il peut être utile de leur faire prendre conscience de leur respiration en utilisant des objets tels qu'une plume, en soufflant dans un verre d’eau avec une paille, etc…


Nos émotions sont des phénomènes multi facettes qui s’inscrivent dans une dynamique utile car elles nous aident à nous adapter, à faire des choix, à agir et à faciliter notre intégration sociale. Cependant elles peuvent aussi nous être préjudiciables. La bonne nouvelle, c'est qu'il existe des moyens nous permettant de les réguler.


Bibliographie :

Lazarus, R.S. (1966). Psychological Stress and the Coping Process. New York: McGraw-Hill.

Nugier, A. (2009). Histoire et grands courants de recherche sur les émotions. Revue électronique de Psychologie Sociale, 4, 8-14.

Nummenmaa L., Glerean E.,Hari R., Hietanen J.K.(2014). Bodily maps of emotions. Proceedings of the National Academy of Sciences, 111 (2) 646-651;

DOI: 10.1073/pnas.1321664111

Pichon S. & Vuilleumier P. (2011). Neuro-imagerie et neuroscience des émotions, Med Sci (Paris), 27, 763–770.

Philippot, P. (2011). Chapitre 6. Les pathologies des émotions. Dans P. Philippot, Émotion et psychothérapie (pp. 157-206). Wavre, Belgique, Mardaga

Rimé B.,Bouchat P.,Paquot L., Giglio L. (2020). Intrapersonal, interpersonal, and social outcomes of the social sharing of emotion, Current Opinion in Psychology, 31 127-134.

Sander, D. (2008-2009). Psychologie de l’émotion, Cours 71133, Université de Genève.

Siegel DJ., Payne Bryson T. (2015). Le cerveau de votre enfant, édition les Arènes.


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